lundi 20 septembre 2010

Il faut sauver le soldat Quentin






Dans les aspects originaux et les plus sympathiques de fdesouche.com, on trouve un fil de discussion Français de l'étranger, qui invite ceux dans cette situation à s’épancher (dans quel pays êtes-vous installé? Depuis combien de temps? Pour quelles raisons avez-vous quitté la France? etc). Le Français de France a bien compris qu’entre les murs, c’est plutôt mal vu d’exprimer un sentiment patriotique --- le débat sur l’identité nationale? nauséabond! --- il faut donc, pour récolter quelques bribes de sincérité, un peu d’émotion, aller tendre le micro aux poissons qui ont sauté hors du bocal.
Le résultat est intéressant. Souvent la raison du déplacement est professionnelle; et comme un employé qui démissionne se sent libre de charger la barque dans laquelle il n’est plus --- ces Français de l’étranger vident leur sac. En passant, ils donnent les conditions selon lesquelles ils voudraient bien revenir, et c’est pas gagné quand ils vivent aux USA, perspective du fisc etc...
J’y ai goûté moi aussi, de 2006 à 2008, en Californie, exilé de luxe dans un pays de luxe. En passant mon temps à m’exprimer de façon technique, factuelle, et suffisante, je voyais mon niveau en anglais langue étrangère stagner désespérement (pas moyen de faire de l’humour), et simultanément mon expression en français s’émousser, pas simplement l’oubli des mots, mais celui des tournures, des idiomes; c’était en fait un rétrécissement de l’esprit. Avec un groupe d’amis on partait le week-end pour faire 800km de voiture, traverser le néant pour atteindre des parcs magnifiques... sans pour autant avoir fait l’équivalent en France auparavant. En fin de compte j’ai préféré rentrer, c’était Paris by night qui me manquait le plus, enfin c’est ce que je croyais en prenant le vol retour. 

Aujourd’hui j’ai une chouette caisse américaine toute plate, qui va bien pour faire des boucles de 2000km Paris-Saint Flour-Millau-Apt-Nice; je pense que Paris est un tout-à-l’égout culturel, et que rien n’est plus beau qu’un lever de soleil sur Castellane hors saison touristique.

Pour sortir de la béatitude égocentrique, revenir à ces témoignages écrits, je voudrais en reproduire un ici in extenso
«Bonjour, je m’appelle Quentin, je suis né à Paris 13ème d’une famille française plutôt de gauche et j’ai 18 ans depuis deux mois, et suit parti le lendemain de mon anniversaire. Pourquoi ??? Parce que j’ai l’impression d’avoir grandi dans un quartier isamico-chino-africain, ou les seuls jeunes qui criaient, tagaient, et foutaient la merde, c’était ces jeunes issus de l’immigration. Ayant toujours été en minorité raciale, que ce soit à l’école publique, au centre aéré, à mon cour de karaté ou dans la salle du médecin j’ai toujours été en minorité. Et je vous rappelle que j’habitais dans le 13ème, j’habitais pas en seine-saint-denis. Certains pourraient me trouver fuyard et lâche, mais je rappelle que la plupart des gens de ce site on plus l’âge de mes parents que celui de mes potes, et que par conséquent, c’est plus facile de se battre pour quelque chose qu’on a vu disparaitre et non pour quelque chose qu’on imagine avoir exister avant nous. Je suis, au cas ou je ne l’aurais pas dit, en Angleterre même si je profite des vacances pour revenir deux-trois jour en France. J’adore l’Angleterre, et je ne viens pas ramener ma France dans leur pays, je suis content de voir des anglais quand je vais en Angleterre, des femmes africaines en tenus colorés quand je vais au Togo, et je suis persuadé que les anglais aimeraient aller acheter leur pain dans une boulangerie française, et se faire servir par un français blanc qui parle deux mot d’anglais avec un accent pathétique, tout simplement parce que c’est ce qui définit la France, et c’est plutôt marrant. A l’heure d’aujourd’hui je ne reviendrais en France que quand les gens commenceront à se bouger le cul. Car toute ma vie les blancs se laissaient faire comme des tapettes et ya que moi qui me défendait. Alors je vous en suplie, on est déjà en minorité visible incontestable , n’attendons pas d’être en minorité statistique pour réagir car il sera évidemment trop tard.
France je t’aime !!!»
Assez poignant évidemment, enfin c’est comme ça que je le ressens; pour un site où la plupart des commentaires viennent de quarantenaires brutaux et vindicatifs, ça calme un peu le jeu: on n’imagine pas Quentin participant à une ratonnade.

C’est assez défaitiste de ma part, mais je pense hélas que ce texte est un faux et Quentin une parabole outrancière... car je suis un peu manipulateur moi-même, et je pourrais en pondre une douzaine dans ce style; ce qui me coûterait le plus, serait de les saupoudrer de fautes d’orthographe pour rendre vraisemblable l’écrit d’un individu d’après la mort de l’enseignement du français.

Et je ne pense pas qu’un jeune de 18 ans, qui toute sa vie a vécu dans le bourrage de crâne de la novlangue, puisse conceptualiser «quelque chose qu’on imagine avoir existé avant nous».

Ce quelque chose, ce serait l’ambiance de films comme Le cercle rouge (Melville, 1970), Nada (Chabrol, 1974), L’instinct de mort ou L’ennemi public no.1 (Mesrine sur la période 70-80 dans un film de 2008): ils étaient bien boudinés dans des chemises impossibles et des voitures pourries, et pourtant ces bandits me paraissent aimables par rapport à ça.

Alain Finkielkraut jugeait en 2007 que les étudiants étaient séniles: et c’est aussi mon impression, c'est à dire que tout sursaut identitaire, aujourd’hui, n’a de sens que par déférence envers les générations précédentes. 

Quentin, si tu existes, viens me démentir...