samedi 20 août 2011

Cavalier facile GT

Bien qu'un déplacement en Californie écourte ma période estivale en France, j'ai décidé in extremis de partir voir Nice le week-end du 15 août en prenant une extension de deux jours les 16 et 17.

Le trajet au départ de Paris, si on ne se donne pas la peine de sortir des sentiers battus, constitue une expérience brutale de 2200km d'autoroute en voiture assez barbante pour juste un week-end. En choisissant un peu mieux les étapes, le déplacement devient voyage; ici le choix de la Route Napoléon s'impose (Grenoble - Gap - Sisteron - Digne - Castellane - Grasse), d'autant plus que les conditions de circulation sur les axes normaux sont prévues dans le rouge.

La moto

Malgré tout l'agrément que j'ai tiré de la F800ST depuis mai sur presque 5000km, j'ai constaté une limite dure d'utilisation routière à environ 300km par jour. Sans trop de regrets à part le gabarit et le prix, je l'ai troquée contre une R1200RT bleue de 2010.

Les routières ou GT (Grand Tourisme) sont des motos massives, lourdes, très confortables, et généralement chères. Elles sont particulièrement adaptées aux longs trajets routiers. Leur cylindrée moyenne est de 1000 cm³ avec un comportement moteur sain, sage et progressif. L'accent est mis sur le confort des passagers, la durée de vie mécanique, l'agrément de conduite et la fonctionnalité. (wikipedia.fr)

260kg, 107ch, châssis de science-fiction, complètement carénée de l'avant avec une bulle réglable en hauteur, c'est le flat-twin BMW ultra-classique qui sert de vaisseau autoroutier à la plupart des professionnels en moto (la police notamment). Elle incorpore également une suspension ajustable, un régulateur de vitesse, ABS et anti-patinage, un ensemble de valises au niveau du coffre d'une 107, autoradio.

La bulle électrique permet de supprimer l'essentiel de la pression du vent sur le cou et les bras qui rendent l'autoroute fatigante, elle apporte aussi, comme sur les voitures décapotables, une protection rudimentaire mais suffisante contre la pluie au delà de 90km/h: puisqu'elle est située à hauteur des yeux, seule la partie supérieure du casque est vraiment exposée, le reste est humide seulement. Au delà de 40km/h, la stabilité latérale de l'engin est impressionnante, on se croit sur un rail; si l'on ajoute à cela le cruise control, on peut simplement régler l'allure à 137km/h et laisser filer en écoutant la musique sans plus de stress qu'en voiture.

Vendredi 12

16h-19h 300km, Paris-Dijon, autoroute. Circulation modérée, deux ondées légères.

Samedi 13

8h-11h. 300km. Dijon-Grenoble, autoroute. Grand soleil mais la densité de circulation augmente à vue d'oeil, c'est une fuite en avant avec un bouchon géant qui se forme derrière et essaye de me rattrapper. Je triche de 100km avec le parcours authentique de la route Napoléon en poursuivant jusqu'à Veynes, c'est à dire en longeant le Vercors et non la bordure ouest du Parc des Écrins.

Veynes: accident sur la nationale, je remonte 15km de bouchon-à-l'arrêt mais la largeur des bagages rend la manoeuvre un peu délicate, d'ailleurs j'accroche une valise sur un cône en plastique rouge. Large pause déjeuner pour laisser le trafic reprendre normalement.

13h-15h. En fait le trafic est dense sur la route Napoléon, y compris surcharge d'avions légers dans le ciel à hauteur de l'aérodrome de Tallard. Je décide de prendre une variante par la route de Barcelonnette (passant par Selonnet). Beaucoup d'éboulis de Gap à Selonnet, dur d'avancer à plus de 40km/h. Pause Coca.

16h-18h. Selonnet-Digne-Castellane. Une vraie route à virages de motards alternant entre cols et lacets gentils, d'ailleurs il y a plus de motards que de voitures. Sur la route, la répartition des motos se fait ainsi: un tiers de R1200GS, le très grand trail de BMW; un tiers de R1200RT ou variante précédente; le reste, des japonaises et des italiennes avec des modalités de transport de passagers et bagages parfois inquiétantes.

Arrivé à Castellane, évidemment je n'ai planifié aucun point de chute, c'est la pleine période touristique; néanmoins l'office du tourisme me trouve un gîte à 20km à l'est, à Soleilhas. Je me pose sur un troquet de la place principale pour récupérer un peu, et dîner.

20h-21h. La route de Soleilhas longe un bassin du Verdon d'une couleur turquoise irréelle, elle rétrécit ensuite sur une seule voie avec un bitume de bonne qualité mais des lacets vraiment serrés; entre villages isolés, la nuit, il n'y a plus aucun passage donc le plantage ne peut pas exister; cela prendra plus d'une heure pour faire le parcours.

Dimanche 14

9h-11h. Soleilhas-Nice par le Col de Bleine. Route sublime.

Curieusement il y a des stationnements pour deux roues motorisés sur la Promenade des Anglais mais pas de point d'accès sans truander un passage piéton et 50m de piste cyclable. C'est un des avantages de la moto, de pouvoir stationner sans trop gêner un peu n'importe où, en l'occurence, je suis à pleine charge de bagages et je cherche à éviter les embrouilles; je la pose pile devant Castel-Plage à un endroit où il y a tant de passage que le voleur assez gonflé pour fracturer, ici, oui vraiment là, un coffre à bagages, mériterait presque mon respect pour sa téméritude.


Castel-Plage est une section privée au bout de la plage de galets abritant un restaurant demi-luxe. Évidemment, le plan de réservation des transats est complet depuis des semaines, mais le temps est un peu nuageux, alors le serveur finalement me propose à la demi-journée (9h-13h30) un transat+parasol pour la modique somme de 25 euros. Il a un peu de mal à s'organiser parce que le très jeune caniche de la patronne, une pouf en rose, a le droit de monter (pardon, a élu domicile) sur le comptoir, se torche le cul sur le registre des réservations et réclame beaucoup d'attention. Suggestion: grenaille numéro 5.

Je passe à table vers 14h pour prendre un tartare de daurade à la mangue qui sera servi 45 minutes plus tard. Suinte des hauts-parleurs une soupe dans le style lounge; on pense à Dido bien sûr (There will be... no white flag... above my head... and I'll surrender...) qui convient à merveille aux atmosphères moites de littoral alangui; mais là, il s'agit davantage de grands tubes réinterprétés par des pétasses molles à la voix sirupeuse, U2, New Year's Day ou Cure, c'est pas terrible.

Je sacrifie à ce rituel du Castel à chaque passage à Nice; la faune attirée par ce type de prestation est exaspérante mais assez amusante à observer, entre des yachtmen bècebège, des vioques en goguette et surtout la partie friquée (donc vieillissante) du milieu gay niçois dont je crains qu'ils soient vraiment là tous les jours.

L'après-midi, dégustation de vin au domaine du Collet de Bovis dans un petit village à 15km. L'appellation Bellet, minuscule en surface, peu connue, produit des blancs floraux magnifiques avec pas mal de gras, une sorte de Meursault du Sud, et des rouges avec des arômes peu courants de violette, cuir, et cire d'abeille, autour de 15 euros la bouteille.

Il y a beaucoup de circulation et de touristes à Nice; contrairement à Castellane située un peu en altitude, la température et l'humidité ne sont pas supportables pour qui porte un pantalon en cuir et des bottes. Il est impensable de trouver un hébergement en dessous de 100 euros dans un rayon de 20km, je décide de sortir mon joker nuit dans les bois, la météo ce soir semble s'y prêter. Je vais me délasser quelques heures aux Bains-Douches, sauna gay rue Gubernatis pour limiter la suée et adoucir les moeurs en contrepartie et prévision d'une nuit dehors.

Vers 21h, je prends la route vers une zone boisée sans habitations trouvée avec le GPS entre Vence et Coursegoules. Il s'agit du col de Vence, et il y a justement un arrêt possible pour accéder à un point de vue en hauteur sur de la pinède un peu râpée, sans arbres.

Il fait nuit et je pose la moto sur une sorte de petit parking où il y a déjà... deux vieilles Clio. Depuis Internet, les rencontres interlopes entre gays n'ont plus tellement lieu dans les bois; il faut donc pencher pour l'hypothèse d'autres personnes en barbecue ou bivouac sauvage. Je joue un peu avec l'impression que je donne, il faut dire que l'allure de la moto et le casque blanc, font que les gens me prennent assez facilement pour un flic; sur la route, ils ralentissent, se rabattent, c'est rigolo.

Muni d'une lampe de poche, je me rapproche des véhicules; je tombe assez rapidement sur quatre jeunes des villages alentour dans la vingtaine qui se font un petit barbecue nocturne à la fraîche sur la butte --- dans cette région, en cette saison, c'est interdit. Ils sont nettement intimidés d'autant plus que je reste, exprès, longtemps silencieux; puis je leur explique mon plan et ils trouvent ça vraiment cool. Ils m'invitent à prendre des pastagas devant le feu en écoutant La Rue Kétanou (sic), et l'un d'entre eux nous fait une démo nocturne de bolas enflammées. Ils racontent des histoires marrantes d'UFOlogie, il paraît qu'il y a une activité paranormale importante très ciblée sur le col de Vence. Ils ont tous un travail et une discussion à peu près normale, c'est rassurant.



L'un d'entre eux est boulanger à Vence; il a pas mal sillonné la France sans un radis, il me donne un super tuyau pour la toilette du matin, une cascade assez difficile à trouver à l'entrée du village. Nuit agréable au grand air au pied d'une sculpture de bienvenue pour les extra-terrestres.

Lundi 15

Je localise le sentier qui mène au Riou et je le descends sur 5 kilomètres; la route se dégrade pour n'être plus qu'un sentier de graviers avec des caillasses, un peu délicat à passer en première. Ça se termine en pente et en dévers à droite devant une barrière, je décide de faciliter le retour en stationnant la moto dans le sens du départ avec un virage à droite que je prends trop large; je réussis à immobiliser la roue avant en bordure d'un fossé, et je réalise qu'il m'est impossible de manoeuvrer pour sortir, parce qu'il n'y a pas de marche arrière et 290kg c'est trop lourd pour faire des petits coups de rein. En pratique la situation ressemble à ça:



Je commence à démonter valises et topcase et sortir un bout de corde, le passer autour d'un arbre pour essayer de la tirer, quand arrive un couple qui promène son chien, le gars est un ancien motard, en tirant à deux han han il me sort d'affaire.

Le coin de baignade est exceptionnel; c'est une cascade qui fait de grands bassins d'une eau très claire avec truites et têtards (et panneau baignade interdite, évidemment) et un chemin très raide qui permet de passer de l'un à l'autre (pas en tongs).

Déjeuner à Tourettes-sur-Loup. Visite du moulin à huile d'olive d'Opio.

16h30-18h00 Grasse-Castellane par la route Napoléon. Il y a une saleté de virage en épingle à cheveu en forte montée à droite dans Grasse sur lequel je suis obligé de piler et refaire un démarrage au milieu, vraiment je ne vois pas comment on pourrait aborder ceci en sécurité avec un passager. Le reste de la route est magique.



Mardi 16

Matin: hydrospeed dans le Verdon. Tenue aquatique renforcée aux genoux et cuisses, palmes, casque et gros flotteur, le but est de faire le petit Grégory dans un torrent de montagne à l'occasion d'un lâcher d'eau du barrage EDF.

Je tombe à cette occasion sur quelques magnifiques specimens d'ados avec des sculptures de crasse sur la tête, je veux dire, des dreads, portant sarouel (pour homme!?); sorte de punk à chien qui n'a pas encore son chien. Ils ont l'air gentil, bien sûr, puisqu'ils veulent sauver les baleines et les indiens, mais je suggère pour eux tout de même, une rééducation par le travail aux champs (forcé), ou quelques heures de garde-à-vous au petit matin devant un monument aux morts, sous un petit crachin d'automne.

Après-midi: visite de Notre-Dame du Roc, une petite église qui surplombe Castellane.


Mercredi 17

6h30-11h Castellane-Veynes. Départ à l'aube, traversée de bancs de brumes et rayons orange du matin; le plaisir est au carré avec le choix de Delicate Sound Of Thunder, Pink Floyd pour accompagner le voyage sur la motoradio.


«There's no sensation to compare with this
Suspended animation, A state of bliss
Can't keep my mind from the circling skies
Tongue-tied and twisted just an earth-bound misfit, I»


11h-13h Veynes-Lyon par l'autoroute. Déjeuner dans le vieux Lyon à Saint-Jean: gras double sauté à l'ail et au vin blanc. Je suis informé in extremis par mail d'un projet de baignade familiale dans le Jura sur le milieu d'après-midi.

14h-16h. Lyon-Parcey et chemin de terre jusqu'à la confluence de la Loue et du Doubs.

Fin de journée en famille.

Jeudi 18

6h-9h 300km: Dijon-Paris, autoroute. Expérience électrique. Départ de nuit, amoncellement de nuages noirs dans la vallée, je traverse quatre orages énormes dans un ciel lézardé d'éclairs sous la pluie. Il y a peu de trafic routier ce qui rend la chose certes osée mais pas incertaine; cinq minutes critiques où la pluie devient si forte que je ne vois vraiment plus rien, et se forme une flaque gelée entre mes cuisses, car le pantalon en cuir est étanche. Je réduis l'allure à 110 avec les warnings le temps de traverser le déluge. Passé le péage de Fontainebleau vers 8h, je croise, pour la première fois depuis le départ, d'autres motards sur la route.

Budget

Essence 2200km à 5l/100km soit 200 euros
Péages cumulés 60 euros
Logement en gîtes. Soleilhas, 14 euros, Castellane, 17 euros x2, total 48 euros
Restaurants 120 euros

TCO BMW R1200RT: 0.75 euros/km


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