samedi 11 mai 2013

Les gorges

jour km étapes déjeûner dîner/nuittarif remarques
Vendredi220Paris-Nevers, autoroute
la botte de Nevers. Hôtel F138+35trop court
Samedi268Nevers-Clermont-Issoire, autoroute. Condat à travers le pays (champ d'éoliennes irréel). Murat-Aurillac-Entraygues (voies rapides +++)L'air de rien, IssoireAuberge de la Méjanassère21+100un peu trop long
Dimanche170
(gorges de la Truyère)
Entraygues. Mur de Barrez. Brommat. Pierrefort. Oradour. Pont de Tréboul. Paulhenc. Barrage de Sarrans. Laussac. Labarthe. Route D621 coupée (virée no48, section nord-est)PaulhencAuberge de la Méjanassère
(repas froid)
12+100détour de 30km à cause de la coupure de route
Lundi200
(gorges du Tarn)
Entraygues/Saint Amans/Laguiole/Aubrac/Nasbinals/Mende (virée no45, nord). Sainte Énimie. Florac LaguioleFerme de la Borie25+50abords de Laguiole+++
Mardi230
(corniche des Cévennes,
Mont Aigoual, gorges du Tarnon)
Florac. Pompidou. Saint Jean du Gard. L'estréchure. Valleraugue. Saint-André (virée no43, un tiers). Mandagout. Mont Aigoual.Hôtel de Saint-AndréFerme de la Borie28+50trop long
Mercredi250
(gorges de l'Ardèche)
Florac. Mont Lozère. Les Vans. Vallon Pont d'Arc. Pont Saint Esprit. Bollène. Suze la RousseKoyal, Les VansLe clos des Panelles12+83trop long
Jeudi250
(Vercors et Chartreuse)
Grignan. Saillans. Die. La Chapelle en Vercors. Grenoble. Sarcenas. Saint-Pierre de Chartreuse. La RuchèrePizza, GrignanL'étape cartusienne8+42dernière heure: deux cols sous une pluie battante
Vendredi340Grande Chartreuse (visite). Entre deux Guiers. A43. Satolas. Bourg-en-Bresse. DijonRoutierParents8.5finex///


Un fou ?


Chambre d'hôtes, Suze la Rousse 

 Depuis quelques jours, je saute de chambre d'hôtes en chambre d'hôtes. Pour moi, c'est la solution la plus adaptée : les petits déjeuners, souvent les dîners, pris en commun m'apportent un minimum de socialisation quotidienne, après cinq ou six heures de virages seul sur la route. 

Les sujets de discussion sont souvent les mêmes, pour des gens en vacances : la destruction de la nature, la démolition des paysages ruraux par l'extension de la banlieue des villes, l'enseignement en chute libre, la progression de la violence. J'écoute beaucoup, mais je prends rarement une part active aux discussions. Les constats sont toujours les mêmes, et les gens semblent de plus en plus décidés à en sortir par des solutions radicales, sans que l'on puisse clairement identifier de quel «bord» ces solutions se réclament, tant on évite de citer des noms de personnalités politiques et à supposer qu'il y ait encore deux «bords». On désigne des ennemis abstraits : la finance, Monsanto, Goldman Sachs ; on déplore que la construction en parpaings, qui résulte d'abord d'une recherche de moindre coût, soit laide ; mais on ne cesse, pour soi, de rechercher le moins cher d'abord. 

Les patrons de la chambre d'hôtes sont responsables d'une petite exploitation viticole en Côtes du Rhône bio. Deux clients sont, eux, exploitants d'un domaine viticole en Alsace. Ils ont une discussion de bonne tenue sur la façon d'engager la transformation d'une exploitation en «bio». Quand on cesse d'asperger la vigne et le sol de produits qui tuent à peu près tout sauf le raisin, il y a d'abord une perte de rendement : les pieds faibles meurent. En deux ou trois ans, la productivité revient à la normale, la vigne a retrouvé ses défenses naturelles ; un tapis de fleurs et autres petites herbes réapparaît, et la faune associée aussi : insectes, grenouilles, oiseaux. Il peut y avoir, ponctuellement, de mauvaises surprises à l'occasion d'un coup de vent, ou d'un délavage des sols de la parcelle voisine --- elle, non bio --- ou d'un dégorgement de nappe phréatique empoisonnée ; mais la transition est rapidement rentable. En dix ou vingt ans, on peut espérer que des espèces prisées de poissons d'eau douce réapparaissent dans les rivières en lieu et place des tapis d'algues opportunistes gavées de phosphates. La discussion se poursuit sur la biodynamie, une approche plus radicale encore dans laquelle on réintroduit l'utilisation du cheval et des cycles lunaires (?). Il est intéressant de voir deux professionnels tomber d'accord sur le fait que le piétinement des sabots, l'effet sur le sol de la traction animale, ne «cassent» pas la terre aussi violemment qu'un tracteur, et changent ses caractéristiques en profondeur, en particulier sa capacité à retenir l'eau. Les mêmes continuent sur le respect absolu des phases de la lune : il ne s'agit pas seulement d'en tenir compte pour la végétation, mais aussi pour les animaux et le personnel : ce dernier devra donc se lever pour travailler la nuit, par exemple, en fonction d'un planning d'autant plus pointilleux qu'il est scientifiquement infondé. Il est assez fréquent, dans ces conversations autour d'une table, d'assister à de tels glissements, de tels effondrements de la raison ; ils ne coïncident pas forcément avec l'alcoolémie des convives (cette discussion se déroule au petit déjeûner). Ainsi : on constate qu'il y a un problème lié à l'industrialisation ; on essaye de déterminer (par l'analyse, la réflexion) ce que l'on peut restaurer de l'ancien art, qui, à défaut de produire massivement, a produit pendant des siècles sans trop faire de ravages ; puis, on accuse la science, on se suicide intellectuellement en se pliant à je ne sais quelle croyance fumeuse liée aux forces nocturnes du croissant maléfique. 

Mais l'un d'entre nous va plus loin. Il hausse le ton, et accuse François Hollande d'avoir voulu détourner l'attention des médias avec cette «histoire de mariage gay», un «problème important certes», mais pendant ce temps, l'État signait un accord avec l'entreprise de distribution de graines Monsanto, qu'il décrit comme une secte d'extension internationale plus nuisible encore que la Scientologie. Il invite chacun autour de la table, en son âme et conscience, à faire tout ce qu'il peut pour sauver la nature, redéfinir ses propres besoins, vivre du minimum, rejeter l'emprise funeste de l'argent, etc. 

Après être resté silencieux, j'essaye de le cerner de plus près : je lui demande quelle est sa profession. Il se présente comme pilote d'hélicoptère pour le transport de personnel et matériel entre plateformes off-shore. Immédiatement, je pense à un mythomane. Je lui explique que je termine le brevet de pilote privé à Toussus, que j'ai justement passé une partie de mon service au régiment d'ALAT de Corbas à regarder les hélicoptère s'entraîner au poser d'urgence en autorotation. Il connaît les filières, les appareils, la difficulté de la procédure d'approche de l'aérodrome de Toussus, il sait cette belle langue aéronautique faite à moitié de sigles abscons : aucun doute, il est bien ce qu'il prétend être. Il confesse alors être venu dans la région pour chercher une roulotte (?!) : il veut s'installer avec sa compagne dans une roulotte et refaire, en autarcie, un petit monde, planter ses légumes, manger ses légumes, vivre du minimum et rapidement, changer de métier. 

Évidemment, avec de telles convictions, cela doit être un crève-coeur de voir le carburant gicler gros comme le doigt à 400 litres par heure dans la bi-turbine de son engin, pour transporter les pires mercenaires d'un système de production si parfaitement autonome qu'il n'a même plus besoin du sol --- serait-ce le sol d'un pays du tiers-monde --- pour s'implanter et pomper vigoureusement la dernière ressource à la mode. Lui-même se décrit comme un mercenaire, employé à l'heure, et touche entre 4000 et 8000 euros par mois. Il est fier d'avoir volontairement réduit la cadence pour commencer à se conformer à son objectif. 

Je lui fais remarquer que sa position sociale est très avantageuse : son métier ferait rêver bien des gens, et qu'il court un risque élevé, en début de trentaine, à vouloir se reconvertir à partir d'un emploi si spécifique. Il ne comprend pas ce que je veux dire. Je lui demande s'il existe, dans le milieu des hélicoptères, ce petit noyau de passionnés qui s'obstinent à mener à bien des projets de machines en construction amateur. Pour les avions, cela fonctionne encore beaucoup comme cela : en réalité il n'y a pas de frontière nette entre les nostalgiques des biplans, des visionnaires autodidactes, de bons charpentiers, des pilotes sérieux, d'autres fous, des forcenés du montage de boîte sans avenir, des gitans d'aérodrome ; un avion qui vole bien n'est jamais que la synthèse, l'écrémage de tout ce qui précède. J'essaye de lui faire mesurer ce à quoi il est en train de renoncer : la somme considérable de perfectionnement technologique toutes disciplines confondues que constitue un hélicoptère moderne, capable de tenir un point fixe au GPS au milieu de rafales de vent, de servir d'engin de levage de plusieurs tonnes dans des conditions dégradées. 

Peu lui importe.