vendredi 20 mai 2011

Cavalier facile

Ce texte n'est pas une fiction.

Je suis parti le lendemain de mon succès au permis A avec ceci

BMW F800ST

faire un grand tour de 3000km dans je-ne-sais-quelle-France en solo pendant deux semaines début mai. C'était prémédité, bien sûr, il m'a fallu tout l'hiver pour apprendre à tenir sur l'engin, sous les cris pédagogiques de Natacha ma monitrice, et lancer l'acquisition de la bête le lendemain de la réussite aux épreuves du plateau.

Esprit: hors saison mais belle météo. 20kg de bagages. 5 jours de linge. Pas de planification. Budget sans limite. Un iPhone qui fait GPS et Internet. Le guide Michelin des 80 ballades à moto et quelques idées pour enchaîner les boucles sans recoupements. Nécessaire de camping sauvage, bite et couteau

Ce qui suit dévoile six tableaux dans un ordre chronologique, sans grand rapport mutuel, ni enchaînement, écrits a posteriori.

D'argent au lion de gueules
1. Sornac


C'est une variante de la boucle dans le Limousin qui me conduit au lac de Vassivières, et une fascination pour la Creuse, vers La Courtine, Égletons. Plus précisément, mon attention se porte sur Sornac pour le symbole: le hasard a fait que le blason de la ville a été repris (détourné? pris en hold-up?) comme emblème par François Desouche.

Comparés aux routes de campagne du Limousin autour de Bénévent, les abords de Sornac sont à la fois plus déserts (on y croise deux voitures par heure) et moins pittoresques (beaucoup d'exploitation forestières).

Une partie du village est ancienne, avec une magnifique église romane aux cloches bien accordées; l'autre faite de pavillons modernes en parpaings, comme partout. Il y a une retenue d'eau artificielle où quatre ados, deux mâles, deux femelles, prennent le soleil; les garçons font des ricochets ce soir-là, comme sans doute, la veille, et le lendemain aussi; pas une voiture, le jour décline. Une boulangerie et un boucher, ce dernier me recommande pour la nuit, l'hôtel Tatet sous réserve qu'il soit ouvert si tôt dans la saison.

C'est une sorte de pension tenue par une vieille dame bien rustique, qui me propose une chambre sans douche à 22 euros et un dîner sans carte dans une salle collective. Remarquer le numéro de téléphone à six chiffres, j'avais dix ans quand le changement a eu lieu.

Je descends pour dîner --- papier peint terrible --- il y a déjà un groupe de six attablé, c'est la phase de sociabilité phatique, il faut savoir rester un peu distant au début, je m'installe seul sur une autre table. Je demande un quart de rouge à la patronne qui m'amène un litre («buvez ce que vous pouvez»), une terrine et une salade de betteraves dans un cul-de-poule.

Évidemment je ne peux faire autre chose que tendre l'oreille à la discussion de l'autre table. La discussion est curieuse, étrangement décousue, simple, voire simpliste comme le font les très vieux; mais ce ne sont pas des vieux. Il s'agit de propos basiques et répétitifs sur le temps qu'il fait, les Saints de Glace, le programme du lendemain, la satisfaction de l'occupation du jour; au bout de quinze minutes c'est suspect et je découvre qu'il s'agit en réalité d'une sortie groupée de trisomiques dans la trentaine. La patronne amène des steaks très durs et très cuits, de telle sorte que la découpe est problématique; et cet incident déclenche une crise de fou rire à laquelle je participe puisque je commence à être un peu rouge. La patronne me met en garde contre les contrôles alcootest sur la route présents à toutes les sorties de Sornac tous les jours et me propose un peu défaite de racheter son hôtel, il vaut 100.000 euros, si c'est pas une misère, la pierre ça vaut plus rien de nos jours, et d'ailleurs Sornac ce n'est plus ce que c'était, il y a dix ans on vivait sans fermer les portes des maisons. Tout le monde va se coucher au même étage; ils ronflent à mort.

L'épisode me laisse songeur, puisque ce que j'observe là, c'est ce que la médecine et un soutien social à 100% arrivent à produire de mieux sur un terrain lourdement défavorable. J'aurais pensé a priori que ce type de population se comportait comme se comportent des enfants, à moitié barbares, glissant pour une broutille sur la pente de la méchanceté et du lynchage; au contraire, ils sont simplets mais profondément gentils, en tous cas ce jour-là. La discussion n'est aucune fois émaillée de «je m'en bats les couilles» ou «nique ta mère sale fils de pute» et je réalise avec horreur que ce tableau est infiniment préférable à celui des macaques de métro qu'il faut subir à Paris. Et pourtant, il y a un groupe qu'on juge suffisamment borderline pour s'en débarrasser en cours de grossesse. Chercher l'erreur.

Le rapport qualité prix est excellent, j'avais oublié le toucher et les bruits incongrus d'un vieux matelas à (très gros) ressorts, et pour la première fois de ma vie je me lave dans un bidet.



«Que l'un d'entre eux soit libéré de force de ses chaînes et soit accompagné vers la sortie, il sera d'abord cruellement ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l'on veut lui montrer. Alors, Ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ?»

2. Némésis à Aurillac

La moto c'est épuisant, pas tellement pour le physique mais surtout pour la concentration en continu que coûte le fait de limiter et planifier au pire, ses propres erreurs, et celles de tous les véhicules autour (ceci, uniquement si on a l'intention de rester en vie, sinon, on peut aussi prendre le cœur léger, tous les virages en aveugle, etc, beaucoup de choses deviennent plus simples).

Ce n'est pas seulement découvrir en soi une réserve finie de vigilance de quatre ou cinq heures par jour qui limite les étapes (hors autoroute) à 180, 200 kilomètres, même quand on n'a que ça à faire. L'élément curieux, c'est que les ennuis ne surviennent pas pendant les segments d'activité soutenue et identique (100km de route à 90km/h) mais aux transitions: les cinq premières minutes du matin; ou la légère euphorie dans une voie de décélération sur une aire d'autoroute (enfin. plus de vent. plus de bruit de moteur. plus la pression sur le cou. sur les bras) pendant laquelle a échappé à mon attention une voiture qui préparait une queue de poisson dans l'angle mort. Finalement ce con m'a gratté sur la pompe, n'a pas compris qu'il était dangereux, m'a même fait un compliment débile sur la moto.

Ce matin-là, je venais de me taper Sornac - Égletons - Aurillac à travers les bois; plus exactement à travers les gorges de la Dordogne, 4-5 degrés à l'ombre, mauvaise route, mes premiers virages en épingle à cheveu, ceci en deux fois deux heures.

Je pose la moto sur un parking à Aurillac, me dégourdis les jambes en recherchant un resto correct. Curieusement je n'ai pas faim et je suis un peu mou. Puis, je reconnais petit à petit les symptômes habituels d'une chute de tension, éblouissement, bouche sèche, mâchoire qui tremble, fourmis dans les doigts. D'ordinaire ce sont les réactions allergiques qui commencent comme ça, et j'ai toujours sous la main quelques comprimés de polaramine mais là, ils sont à 400m dans le topcase et ce ne sera pas possible de marcher si loin. Stress.

Mon problème principal à cet instant c'est de ne pas avoir l'air trop con, je suis en tenue de road warrior en cuir avec mon casque à la main, et il va falloir éviter de se ramasser par terre comme un clodo. J'avise un petit parc avec des bancs sur lequel un malaise peut éventuellement se faire passer pour une sieste en vrac, mais vu qu'on ne sait jamais comment ça peut dégénérer j'appelle le 112. Je supplie les pompiers de débouler sans mettre la sirène, dix minutes plus tard ils m'embarquent dans une civière ultra high-tech.

14h, hôpital d'Aurillac. Le médecin ne croit pas trop à une réaction allergique mais plutôt un malaise vagal (comme sarko!). Il me dit que ce n'est pas méchant, le plus gros risque c'est de se cogner en tombant, en général on revient à soi tout seul et la tension redevient normale en une ou deux heures. Je prends note pour le prochain. Il me recommande vivement de rester dormir à Aurillac ce soir-là et me libère vers 16h.

À 18h je suis assez bien remis, et en parcourant mon guide des chambres d'hôte, je repère un truc sympa à Murat (48km). J'imagine (j'imagine...) la route d'Aurillac à Murat comme une petite route en rase campagne, bled, rond-point, bled, rond-point, bled, le genre qui passe à 45km/h les doigts dans le nez en une heure. En selle.

La N122 qui relie Aurillac à Murat est une nationale à deux voies récemment refaite avec des marquages blanc pétant, un billard; elle passe sans s'interrompre sur le flanc d'un volcan ou quelque chose comme ça, enfin, il y a des grands virages larges et des glissières de déchiquetage toutes neuves aussi; ça sent l'axe routier à deux doigts d'être éligible pour une voie rapide; et d'ailleurs, c'est ainsi que les habitués y roulent: tout le monde à 95km/h, tout le monde double, tout le monde est pressé.

J'essaye de passer quelques virages à 80km/h avec une boule dans le ventre et deux voitures impatientes qui me collent au cul, pas moyen, le moral est absolument en miettes, je sors au milieu de nulle part, une sorte d'aire de repos pour poids lourds.

À cet instant, je comprends que je suis vivant, c'est bien, deux visites aux urgences dans la même journée auraient vraiment fait mauvaise impression; mais je suis aussi fait comme un rat, puisque mon téléphone m'indique qu'il n'y a pas d'autre route et qu'il est hors de question de conduire de nuit.

Il y a une cabane de chiottes tellement vandalisée que rien ne marche, en particulier, pas d'eau. Je repère un petit sentier fléché indiquant la cascade de la Cère, 400m plus bas, un joli cours d'eau et même une bande de sable. Pas trop le choix, heureusement le temps est clair, je décide de camper là sans tente avec mon Sleep'in Bed Decathlon donné pour température confort: 11 degrés, limite confort: 6 degrés. Je ramasse du bois pour faire un feu et je mets de côté dans un tronc d'arbre le minimum pour rentrer en slip --- mon téléphone, une CB, 150 euros, au cas où je me ferais agresser au fond des bois --- pourtant je suis déjà la pire rencontre que l'on puisse faire, mais on ne sait jamais, pourraient passer par là, des gitans, Francis Heaulme, Xavier Dupont de Ligonnès, François Hollande?

Sur le parking, je vais mendier de l'eau à un poids lourd égaré; il est beau, blond, il ne comprend rien à ce que je dis, finalement si, il me donne une bouteille d'eau pétillante polonaise. Il est déjà 19h30, je vais contempler une dernière fois la route qui m'a tenu en échec --- moins de trafic, ça a l'air plus calme, je me trouve un peu petite bite; puis il y a deux voitures et une camionnette qui déboulent sur une longue ligne droite en descente, qui se termine par un virage à droite limité à 50km/h. Une pauvre clio rouge décide de doubler, un peu tard, et les autres vont vite, elle se rabat comme une merde avant le virage et force les deux autres à freiner. Il y avait challenge pour celui qui serait passé dans l'autre sens, à ce moment-là.

J'attends tranquillement le crépuscule en lisant Renaud Camus, La grande déculturation au bord de l'eau, il n'y a pas un moustique. Je m'y reprends à quatre fois pour démarrer le feu, le bois est humide tant et si bien que je sacrifie la notice de la moto pour arriver à mes fins. C'est romantique un feu qui crépite, je suis finalement très fleur bleue et j'imagine aller chercher mon copain du parking pour une coproduction franco-polonaise Brokeback river, etc.

La nuit est fraîche en effet, mais le bruit continu du torrent réduit l'attention démesurée qu'on porte en forêt aux petits bruits suspects des musaraignes et autres bestioles nocturnes, le feu décline et je m'endors. Au matin, 6h30, je me sens collé et pâteux dans mon fut en cuir, normal j'ai dormi dedans et j'ai froid; rallume un peu le feu, et je rejoins le bled le plus proche pour un triple expresso.

Bilan de la péripétie: deux piles R6, cette conne de maglite s'est allumée dans ma poche; maglite c'est beau, mais c'est tout simplement pas fonctionnel.

3. Atteindre le maître 

À Millau je visite un atelier de travail du cuir à la main, c'est toujours amusant de voir que sur certains secteurs de niche, on peut encore vendre du made in France. Rien pour me convaincre hélas. Je leur demande s'ils n'ont pas des contacts avec des artisans cordonniers qui pourraient me faire une paire de bottes sur mesure.

Ça fait trois mois que je traque sur eBay la véritable botte Weston demi-mesure de la garde républicaine; dont un certain nombre de paires neuves sont revendues autour de 500 euros, mais plutôt dans la pointure la plus courante 44. Il y a peu d'intermédiaires entre des bottes de facture américaine basique de chantier ou d'uniforme, et des réalisations très haut de gamme, au cas par cas par quelques artisans introuvables.

Le chef d'atelier de Millau m'indique pour ce que je cherche Monsieur X, un contact à Mende, chef-lieu de la Lozère, département le moins peuplé de France. C'est vaguement sur la route, il ne me laisse que l'adresse. Go!

Sur une petite place de Mende, une échoppe de cordonnerie des plus classiques; et un gars avec un air de CharlÉlie Couture. «Bonjour, c'est vous Monsieur X?» Il acquiesce, je lui explique que je lui aurai bien passé un coup de fil au préalable pour prévenir de mon passage, non, ce n'est pas la peine, il travaille un peu sur Paris, sur Mende c'est mieux, plus calme, ce n'est pas souhaitable d'être contacté par n'importe qui.

Je lui explique mon projet; sur mesure, en cordovan, des bottes jusqu'au genou pour la moto et la chasse;  étanches et galbées. Une lumière s'allume dans ses yeux, je vois que cela excite sa curiosité, mais vraiment ce n'est pas le genre à sortir le grand art pour de riches goujats, il va falloir que je sois plus convaincant: nous discutons chaussure pour homme, Vass, Alden, semelle en cuir, cousu trépointe, qualité de doublure, fers encastrés et sur mesure pendant vingt minutes.

Finalement nous tombons sur un accord de principe, une fourchette de prix et la nécessité de planifier quatre ou cinq rendez-vous sur six mois. Il est un peu challengé, ce n'est pas du classique ce que je veux, certaines techniques de travail du cuir de cheval lui demanderont les conseils d'un ancien maître; le galbe c'est très difficile à faire, ben oui, c'est toute la différence entre une botte cylindrique de moto et une belle botte d'équitation.

J'aurai sans doute à revenir sur le sujet dans un article ultérieur.

4. Les gorges du Verdon


Arrivée à Manosque, après 200km à travers le Gard. Je n'ai pas fait de grosse boulette de conduite et je suis content d'arriver; il est 17h, le plan est d'explorer tranquillement le centre à la recherche d'une chambre d'hôte.

Le centre est sur un promontoire, la ville a dû s'élargir à partir d'une base fortifiée sur une colline. Ce qu'il en reste, c'est une sorte de petit boulevard circulaire en sens unique qui tourne autour, et les rues pour y accéder de l'extérieur sont en bonne pente. Surtout celle que je prends d'ailleurs, et je réalise en cours de manoeuvre que je dois gérer mon point faible, le virage à droite en montée à allure lente avec une complication puisque ni la signalisation d'engagement, ni les véhicules circulant en amont, ne sont visibles. Je rate le virage, freine et rattrape in extremis la moto qui tombe avec un grand coup de rein. Ce vieux truc des villes du Moyen-Âge fait encore son effet sur les chevaliers modernes... Presque une semaine que je ne fais que ça, j'aurais aimé que certains problèmes soient résolus, ou deviennent aussi simples qu'en voiture, rétrospectivement j'ai l'impression qu'aucun motard même chevronné avec une moto un peu lourde n'est à l'abri d'une chute à la con tout seul. Agacé je me gare près d'un banc public, et boum, deuxième erreur mon casque tout neuf m'échappe des mains, de pas très haut, mais assez pour faire une belle rayure sur l'écran; le vieux casque que Laurent m'a passé, n'avait pas une seule rayure, je le note.

C'est donc mon premier arrêt dans la région PACA, et après avoir traversé des régions vraiment préservées, je déchante un peu. L'ambiance est plus commerciale, il y a des choses comme des bars à la mode, des magasins de bougies, des artistes à deux balles et peut-être même une boîte de nuit et la faune qui va avec, enfin pas encore, ce n'est pas la saison. Les tarifs d'hébergement aussi, ne descendront guère sous 60 euros jusqu'à ce que j'atteigne les Alpes.

L'ambiance est irrespirable en fait; et je trouve assez vite un plan dans une bastide provençale excentrée qui vient d'avoir une annulation. Elle est desservie par un chemin défoncé en caillasse; c'est en ralenti de première et avec l'aide des pieds que je me traîne devant le portail. Au contraire de mon arrivée, l'endroit est vraiment grandiose, d'ailleurs les clients sont des habitués et s'installent à la semaine; nous sommes une douzaine et la scène prend une tournure de huis clos quand tout le monde passe à table.

Parmi les convives une Américaine en début de vingtaine, caricature de californienne bronzée et trop souriante, origine vietnamienne, nous fait faire une partie de la discussion en anglais. My godness! ses propos sont d'une grande banalité, son statut et ses études aussi, ce MBA de l'INSEAD à Fontainebleau, tout le monde fait ça, il doit être bien coté; elle est hébergée au Château de Fleury-en-Bière et j'ai bien l'impression que leur programme pédagogique de grasshopper cloud without frontiers ne s'embarrasse pas de l'apprentissage du céfran. Je ne sais pas pourquoi elle tient à nous dire le nom du propriétaire mais elle cherche ses mots; coïncidence, j'avais justement appris trois semaines plutôt à l'occasion de la visite de Courances que celui de Fleury était dans la même famille, j'indique le marquis de Ganay.

Le lendemain, grand départ pour le lac de Sainte-Croix


au pied des gorges du Verdon. «Tout motard se doit de faire les gorges une fois dans sa vie», c'est marqué dans le guide; beaucoup ont dû le lire, en réalité, la plupart des véhicules circulant aux abords sont des motos de grosse cylindrée et il faut imaginer la carte postale ci-dessus noyée dans un raffut de mise en jambes avant le bol d'or, vraiment dommage.

Je suis passé par la route Sud dite la corniche sublime en serrant bien à droite à une moyenne de 30-40km/h ce qui ne présente pas tellement de difficulté, puisqu'on peut à tout moment piler en dix mètres; et les croisements moto-voiture sont quand même faciles. C'est sans doute, pour certains, aussi sacrilège que descendre une piste noire en chasse-neige; ainsi je me fais traiter comme un point fixe par une grappe de cinq morts en sursis: sûr, je leur ai pourri leur chrono. En une heure de trajet je ne me fais dépasser que six fois, ce que je considère comme encourageant.

La vue ne se raconte pas, au petit restau du point de vue, il y a 700 mètres d'à-pic, et minimum 4000 chevaux garés devant. Avec soulagement, le relief se calme et j'arrive à un petit vallon couvert de jonquilles, fais une pause et me laisse glisser jusqu'à Castellane.




5. Le Lautaret

Quand j'ai demandé à mon GPS de me guider de Ceillac à Grenoble, je n'ai pas immédiatement fait le rapprochement entre la section Briançon-Grenoble et une route panoramique de mes souvenirs d'enfance, le col du Lautaret.

Ça fait quelques jours déjà que je grenouille dans les alpages sur des routes peu fréquentées avec des vilains lacets, des gravillons, des cyclistes qui me doublent en descente, et ici c'est une axe commercial de montagne important, beaucoup de poids lourds. Je commence à être un peu plus à l'aise, et le poids lourd qui me suit, même si j'ai bien compris qu'il pourrait passer devant, me laisse un tampon de survie de plus de 100m. Grands virages, dénivelés, paysages, tunnels, c'est un jeu vidéo qui m'occupe à 100% pendant 45 minutes jusqu'au bas de la vallée que je franchis façon finish --- et pause sur le bord de la route. Quatre poids lourd et trois voitures en profitent pour reprendre une allure normale.

Il faudra refaire ça en Mercedes SL500 décapotable. Avec Mika, Take it Ea-ea-sy, avec un coca, en chantant et en envoyant des SMS.


<a href="http://www.youtube.com/watch?v=RVmG_d3HKBA?hl=en"><img alt="Play" src="http://www.gtaero.net/ytmusic/play.png" style="border:0px;" /></a>

La route continue vers Grenoble sur une voie rapide. Puis une autoroute mais là, j'en ai marre et c'est l'heure de déjeuner alors je sors n'importe où, à Pont-de-Claix pour être exact, la grande banlieue de Grenoble.

Grenoble, ses braqueurs, ses SSII; la banlieue de Grenoble: the place to be.

Les premiers piétons que je croise parlent en arabe; il n'y a rien qui ressemble à un bistro même minable, c'est une grande avenue couverte de panneaux de pub et de franchises Pier Import, Saint Maclou, Norauto, garage Volkswagen, de la pure zone; j'échoue dépité dans un grill Courtepaille. Tout ça n'a pas d'allure et donne l'impression que par faiblesse, le territoire se laisse recouvrir par ce chiendent architectural vivace, aussi sûrement que caulerpa taxifolia couvre les fonds marins.

Je n'ai toujours pas d'antivol et pour la première fois depuis le départ, je m'en soucie et je demande explicitement une table avec vue sur ma moto sur le parking. À la carte, entre une grillade et une grillade, je tombe sur une bonne surprise, un boeuf froid en gelée; c'est plutôt original, je prends ça avec un jus de tomate. Je dois convenir que la nourriture, le service et le tarif sont irréprochables. C'est simplement la perspective de vivre ici, la même expérience hors-sol exactement qu'au Courtepaille d'Orléans, d'Amiens, ou de Quimper qui me rend un peu triste.

6. La traque

C'est moi qui l'ai mise en oeuvre, en utilisant Google latitude en continu avec un iPhone fixé sur le guidon, tenant des comptes et prenant des notes de voyage.


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jourdéjdînersoiressencetrajet
v29101735, chambre d'hôte40400km: Paris-Arnac (autoroute). Bellac
s30201322, hôtel Tatet20200km: Bellac. Ambazac. D940a. Bénévent. Guéret. Lac de Vassivières. Gentioux. Sornac
d11000, camping sauvage20200km: Sornac. Meymac. Égletons. Barrage de l'Aigle. Pléaux. Aurillac. Vic sur Cère.
l2243075, ferme-auberge de la Méjanassère, route de Laguiole20200km: Vic sur Cère. Mur de Barrez. Pierrefort. D56. Pont de Tréboul. Gorges de la Truyère. Entraygues.
m301225, chambre d'hôte Mme Caumes0120km: Entraygues. Estaing. Bozouls. Gabriac. Laussac. Severac. Bois du four. Saint Beauzély. Montjoux. Candas.
m4381225030km: Candas. Millau. Candas.
j514122520120km: Candas. Brousse. Saint Sernin. Saint Affrique. Roquefort. Saint Rome. Candas.
v6132550, restaurant Le Tilleul20225km: Candas. Millau. Meyrues. Mende. Florac. La corniche des Cévennes. Saint Jean du Gard. Générargues.
s7142559, la bastide de l'Adrech20200km: Générargues. Nîmes. Saint Rémy. Cavaillon. Apt. Manosque.
d802075, hôtel du commerce20180km: Manosque. Quinson. Aupt. Lac de Sainte Croix. La corniche sublime sur les gorges du Verdon. Castellane. 
l9301020, le matefaim20175km: Castellane. Barcelonette. Guillestre. Ceillac.
m100102000km: randonnée du lac Miroir.
m110140, squat un pote20280km: Ceillac. Briançon. Col du Lautaret. Pont-de-Claix. Saint Pierre de Chartreuse. Saint Pierre d'Entremont. Le Pont de Beauvoisin. Sérézin.
j12000, maman20280km: Sérézin. Bourg en Bresse-Lons (autoroute). Tassenières. Nevy. Sampans. Genlis. Dijon.
v1300000km
s1400000km
d15000, maison40310km: Dijon-Paris (autoroute).

Méritent mention gastronomique particulière:
  • Hôtel Tatet, Sornac. Une salade de betteraves rouges des plus classiques, idéalement vinaigrée et aillée.
  • Hôtel du Midi, Pierrefort. Sorbet à la gentiane façon omelette norvégienne.
  • Auberge de la Méjanassère, Entraygues. Farçou aux épinards frais idéalement craquant et léger avec une salade mêlée de fleurs d'acacia. Un blanc, cépage Chenin, dans l'appellation Entraygues-Le Fel.
  • La mangeoire, Millau. Un saupiquet de lièvre dans le filet, rôti, saignant.
  • Chambre d'hôte, Candas. Une boîte de trénels.
  • Le tilleul, Générargues. Une cuisse de lapin à l'estragon idéalement cuite.
  • La bastide, Manosque. Confiture de méréville.
  • Le patio, Barcelonette. Mont d'or au four au génépi, charcuterie.
Oublis logistiques
  • un coupe-ongles
  • des pastilles de purification pour l'eau courante sauvage
  • des crocs, enfin n'importe quoi de plus léger que des bottes.