dimanche 11 mars 2012

Nuages de charia sur la France

«A l’heure actuelle, c’est à l’islam et non à la civilisation européenne ou ses valeurs démocratiques que les immigrants accordent une légitimité politique… Ils acceptent les institutions européennes dans la mesure où celles-ci ne freinent pas l’expansion de l’islam. Ils les rejettent quand elles deviennent un obstacle.» Christopher Caldwell 



Belle actualité islamique ces temps-ci: les Français découvrent avec surprise, en pleine campagne présidentielle, que 51% de la viande est halal; et cette semaine, trois faits divers répugnants autour d'une tentative d'immolation, d'une réussite d'ébouillantage, et d'une tentative d'égorgement (sur un humain).

L'air de rien, l'hebdo gratuit le plus lu de France, Vingt Minutes, continue tranquillement avec ce petit article, vendredi:

L'assurance-vie compatible avec l'islam arrive


[...] Cette fois-ci, l'assurance-vie sera donc accessible à l'ensemble des particuliers français… musulmans ou non. «La finance islamique, c'est d'abord un compartiment de la finance éthique», insiste Anouar Hassoune, ancien vice-président de l'agence de notation Moody's et responsable du produit. «La rémunération par les taux d'intérêt est interdite, tout comme la spéculation. Et les transactions doivent être adossées à des actifs provenant de l'économie réelle. Ces critères relèvent du bon sens et sont vraiment universalisables


Concrètement, cette assurance-vie n'intégrera aucune obligation, seulement des fonds d'actions de sociétés reconnues comme licites et n'exerçant pas dans des secteurs tels que les jeux d'argent, l'armement ou le cinéma. [...]

Évoquant le sujet avec des amis, je réalise que ce dernier article ne leur pose pas un problème majeur, hors la tentative de communautarisme (c'est à dire qu'une entreprise proposant des placements «sains» sans que cela soit trop teinté de religion, leur paraît une bonne idée). Un commentaire plein de sagesse, mais ce faisant, ils passent à côté du sel de la chose, la question de savoir qui est légitime en France pour décider que telle chose est licite, ou pas.



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Un peu d'histoire récente

Il y a dix ans (2002), le personnel de ma société alors installée à Palaiseau comprenait un Algérien et un Marocain. Il est arrivé, une fois, que le sujet de la viande halal effleure pendant la pause déjeuner. Depuis ma naissance, et sans doute bien avant, il y avait en France des épiceries casher; mais la minorité musulmane --- hors ses réticences sur la viande de porc et un attrait particulier pour l'agneau --- semblait se satisfaire de la viande locale. Ce jour-là, ils nous ont confirmé qu'il s'agissait davantage avec le halal, d'une tentative de marketing parallèle, absolument facultatif pour les musulmans vivant hors terre d'islam.
«Dans les années 90 et même au début des années 2000, les musulmans interrogés sur leur consommation estimaient que cela ne correspondait pas à un impératif religieux. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus nombreux à en consommer et tous mettent en avant une conformité aux règles de l'islam.» [source]

Il y a deux ans (2010), l'affaire de l'interdiction des burqa fait rage. Je fais observer à mes collègues qu'il s'agit ni plus ni moins de riposter contre les balbutiements de la charia en France. L'un d'entre eux répond: «de la quoi?»

Je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours eu une idée précise, et nettement péjorative, de ce qu'était la charia. La projection mentale immédiate d'un barbu à l'oeil fou, faisant tournoyer un sabre pour l'abattre sur la main d'un voleur, n'y est sans doute pas pour rien. À vrai dire, cette charia totale n'existe que dans le fin du fin du monde islamique, mais le halal est bien une efflorescence de cette chose, ici. Il est illusoire d'envisager une communauté musulmane significative en nombre, sans que se pose un jour, le problème de la collision entre nos règles, et les leurs.


La pénétration de cette idéologie en France est nettement facilitée par l'ignorance et le manque de curiosité des jeunes adultes (ce que Renaud Camus appelle La Grande Déculturation), associés à une propagande médiatique efficace d'édulcoration de l'islam. En admettant que wikipedia soit une source objective (pour une pensée occidentale, plutôt oui), et de qualité suffisante, la simple lecture de ces articles: charia,  kafir, dhimmidindjihad, devrait vacciner rapidement n'importe quel individu avec un cerveau.


La situation d'un quartier à Londres

Au pire, il est encore possible pour quelques années, de laisser pourrir tout cela au nom du communautarisme («surtout ne pas juger»): se laver les mains de ces problématiques, au motif que ceux qui en sont victimes en France (donc: caillassées, brûlées, violées, ébouillantées, égorgées, découpées, mortes) de toute façon ne sont pas des nôtres. Tel n'est pas mon point de vue.

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Le cinéma c'est dégueu

Certaines valeurs morales sont universelles, ou universalisables (pour reprendre les termes de l'article, à supposer que chacun souhaite vraiment se faire universaliser --- on voit qu'il y a ici, un empilement de discours pervertis).

Je vais m'attacher dans ce qui suit, à mettre en lumière des nuances, voire des oppositions entre la législation française et la charia. Il faut bien comprendre, cependant, que même s'il y avait coïncidence totale entre les recommandations des deux systèmes --- et il y avait sans doute une coïncidence frappante, entre la charia de 2012 et la législation de l'Inquisition en France, quinzième siècle --- cela serait toujours un problème. En effet, nos lois évoluent, lentement, mais efficacement, par l'effet de décisions démocratiques. La loi d'un dogme, en revanche, est immuable.

Les jeux d'argent sont mal vus partout, certes. L'armement aussi, du moins les gens comprennent que c'est un mal nécessaire, un mal pour un bien (concept subtil). Les modalités de la légalité du prêt à intérêt résultent d'une histoire longue en occident, mais il est licite. Le contenu webmatique critique sur la finance islamique est très maigre, mais en voici un exemple:
«Il est bien évident que les banques islamiques, qui n’existent pas par charité chrétienne, ne prêtent pas à «taux zéro» : elles ne pratiquent pas le taux d’intérêt, autrefois dénommé usure, mais pratiquent des opérations qui y équivalent. Sans entrer dans les détails, une banque islamique ne prête pas à intérêt, mais deux stratégies principales la rémunèrent :
* elle peut prendre des parts dans des sociétés dont elle partage alors les bénéfices pour se rémunérer, souvent avec des clauses qui limitent ses pertes possibles. Le tout revient bien à donner de l’argent et à en reprendre le même montant plus une rémunération.
* elle peut acheter un bien et le revendre aussitôt plus cher (ce qui représente l’intérêt qu’aurait pris une banque non-islamique) à quelqu’un qui paiera en paiements franctionnés. On a donc bien là aussi une rémunération de l’argent prêté.»
En tous les cas, elle ne méritait pas un tel effort de prostitution de la part de nos chers politiques:


Quant à mettre en cause l'industrie cinématographique, non, vraiment je n'accroche pas; mais je vais ici jouer au jeu inverse: relever en quoi certaines particularités islamiques sont tout à fait malvenues en France par deux exemples:

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L'égorgement (des animaux), c'est mieux
L'égorgement (des animaux), c'est recommandé
1. Ne pas égorger (les animaux), c'est interdit

De fait, il semble que le spectacle d'un animal de 500kg se débattant, entravé, sabots en l'air, dans une cage en métal, avec sur le vif, les derniers battements de cœur sous la forme de grandes gerbes écarlates, le dernier souffle: de la brume à travers une trachée ouverte, l'estomac qui se vide, soit insupportable aux Français.

En tous les cas, la législation française impose d'expédier la nécessaire mise à mort pour qu'elle soit plus acceptable, parce que moins théâtrale.

Mon avis personnel sur cette question est, à vrai dire, mitigé. Pendant mon service militaire, certains exercices de terrain étaient redoutés; l'un des pires, sommet de l'aguerrissement, consistait à préparer son dîner à partir d'un poulet vivant en plumes et sur pattes. À moi, cela paraissait au contraire de nature plutôt pédagogique (en tous les cas, matière à révéler crûment l'éloignement croissant de l'homo sapiens avec la nature).
«Un être humain devrait savoir changer une couche-culotte, planifier une invasion, égorger un cochon, manœuvrer un navire, concevoir un bâtiment, écrire un sonnet, faire un bilan comptable, monter un mur, réduire une fracture, soutenir un mourant, prendre des ordres, donner des ordres, coopérer, agir seul, résoudre des équations, analyser un nouveau problème, répandre de l’engrais, programmer un ordinateur, cuisiner un bon repas, se battre efficacement, et mourir bravement. La spécialisation, c’est bon pour les insectes.» – Robert Anson Heinlein
Notre société a pris le chemin d'une dissimulation quelque peu hypocrite de la violence et de la mort. Ceux qui s'écartent de cette règle sont ostracisés --- croque-morts, chasseurs, prêtres, bouchers, motards, toreros --- obscurs passeurs entre le monde de la viande vivante et le monde de la viande morte. La prolifération du politiquement correct prend sans doute partie de ses racines dans ce phénomène qui permet d'éluder le caractère acharné de nos existences. Ce qui me gêne vraiment dans le tableau gore montré plus haut, c'est l'ingéniosité perverse du dispositif visant à entraver la bête (à comparer avec la corrida); et le choix d'un instrument d'exécution si démodé: pourquoi pas avec les dents?

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2. Une fille qui n'arrive pas vierge à son mariage, c'est une pute. 
Lapidation à mort de la femme adultère.


Dans cinq leçons de vivre-ensemble, Alain Finkielkraut rappelle le point suivant:
«Par l’entremise du raisonnable Chrysalde, Molière tourne en dérision non le cocuage mais la hantise du cocuage. Chrysalde rive son clou à Arnolphe en ces termes:
« Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche,
N’est rien, à votre avis, auprès de cette tache,
Et que de quelque façon qu’on puisse avoir vécu,
On est homme d’honneur quand on n’est point cocu. » 
L’École des femmes révolutionne le concept d’honneur. Ce n’est plus le cocu qui est ridicule et déshonoré aux yeux du public, c’est Arnolphe, l’homme qui a une peur panique de l’être. 
Et c’est au pays de Molière qu’à partir de l’âge classique qui s’est défini lui-même comme l’âge galant, on a exalté (sinon toujours pratiqué) un art de vivre ensemble et de mêler les hommes et les femmes sans que le déshonneur en résulte. Dans les pays du Sud de l’Europe, au même moment, les hommes gardent les femmes derrière les grilles et les verrous ; au Nord, dans la froide Angleterre, les sexes vivent séparés non par opposition mais par indifférence. « En Angleterre, dit le proverbe, rien n’est fait pour les femmes, pas même les hommes. » Voilà pourquoi Hume proclame la France pays des femmes. »
La France se serait donc engagée au 17ème siècle dans ce pari délicat d'atteindre, sur ce domaine précis, un meilleur bien collectif en relâchant la pression sur le sexe faible, c'est à dire, en affaiblissant le patriarcat et en dédramatisant l'adultère.

Car tout est dans la subtilité du relâchement. Si la plupart des jeunes, aujourd'hui, espèrent simplement trouver un partenaire qui n'a pas beaucoup plus d'heures de vol qu'eux-mêmes, cet idéal ne peut se résumer dans les termes de la charia.

Osons alors une dernière comparaison avec la frange la plus réactionnaire de notre société --- ce serait de toute façon le premier angle d'attaque d'un détracteur: oui, il subsiste en France une infime minorité sincèrement attachée à la virginité. Pour ces derniers, il va de soi que l'exigence qu'ils imposent à leur partenaire, passe par leur propre obligation à ce protocole désuet (point fondamental), et ne s'accompagne pas de la condamnation véhémente de ceux qui se comportent autrement. Alors...


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Une conclusion?

Déjà deux commentaires informels sur cette intervention, relevant un manque de structure du document. Ah...

Notre point de départ est une série de faits divers révélant la visibilité croissante d'une loi parallèle en France, sous la forme de crimes d'honneur, de problèmes d'abattage rituel, et maintenant, de placements «éthiques».

Cette montée en puissance est très brutale (une dizaine d'années) et sans corrélation entre le pourcentage de personnes concernées (en gros, 6%) et sa place dans la vie publique. Quel que soit son contenu --- l'imposition d'un nouveau cadre devrait au minimum attirer l'attention, voire susciter un certain scepticisme. Or, ce n'est pas ce qui se produit.

L'optimisme règne, bercé par les medias, installé dans la tranquille pensée que les règles morales, universelles, se valent toutes, moyennant quelques nuances et précautions inter-culturelles. Cela me paraît inexact, et le rejet du cinéma doit nous mettre la puce à l'oreille. Je relève deux exemples sur lesquels il y a forte divergence de points de vue.

Peut-il y avoir plusieurs lois sur un même territoire? Je ne crois pas.


Note: cet article est antérieur de quelques semaines à l'affaire Mohamed Merah.